Carrefour géostratégique aux paysages extrêmes, le Tchad incarne tous les paradoxes de l’Afrique contemporaine, entre richesses naturelles et développement inachevé
Un territoire de contrastes saisissants
Le Tchad déploie son immensité sur 1,28 million de kilomètres carrés, offrant une variété de paysages qui en fait une véritable Afrique en miniature. Au nord, le désert du Sahara impose sa loi avec ses étendues infinies de sable et ses massifs montagneux impressionnants comme le Tibesti, où culmine le pic Emi Koussi à 3 415 mètres d’altitude. Cette région inhospitalière, domaine ancestral des Toubous, couvre près de la moitié du territoire national mais ne compte qu’une infime partie de la population.
La bande sahélienne centrale, véritable épine dorsale du pays, présente un visage plus changeant au rythme des saisons. Pendant la courte période des pluies, les savanes se parent d’un vert éphémère qui attire les immenses troupeaux des éleveurs nomades. Mais cette fragile équilibre est menacé par l’avancée inexorable du désert, qui gagne du terrain vers le sud au rythme alarmant d’un kilomètre par an.
Le sud du pays, plus hospitalier, concentre l’essentiel de la population et des activités agricoles. Les fleuves Logone et Chari y forment un réseau hydrographique vital, véritable artère nourricière pour des millions de Tchadiens. C’est dans cette région que l’on trouve les étonnantes cases obus des Mousgoum, ces habitations traditionnelles en spirale classées au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO, témoignage de l’ingéniosité des populations locales face à leur environnement.
Le drame écologique du lac Tchad
Ce qui fut autrefois le sixième plus grand lac au monde n’est plus aujourd’hui qu’une ombre de lui-même. En l’espace de soixante ans, le lac Tchad a perdu plus de 90% de sa superficie, passant de 25 000 kilomètres carrés dans les années 1960 à moins de 2 000 kilomètres carrés aujourd’hui. Cette catastrophe écologique, causée par la combinaison du changement climatique et de la surexploitation des ressources en eau, a des conséquences dramatiques pour les populations riveraines.
Environ 30 millions de personnes dépendent directement ou indirectement des ressources du lac, dont le rétrécissement a précipité des communautés entières dans la précarité. Cette situation de crise humanitaire a créé un terreau fertile pour le développement des groupes armés dans la région, compliquant encore davantage les efforts de stabilisation.
L’économie pétrolière : promesses non tenues
L’exploitation pétrolière, commencée en 2003, devait marquer l’entrée du Tchad dans une ère de prospérité. Le mégaprojet de l’oléoduc Tchad-Cameroun, long de 1 070 kilomètres et nécessitant un investissement de 4 milliards de dollars, symbolisait ces espoirs de développement. Vingt ans plus tard, le bilan apparaît pour le moins mitigé.
Avec une production oscillant autour de 120 000 barils par jour, le pétrole représente certes la première source de revenus du pays, contribuant pour 40 à 60% du budget de l’État selon les années. Mais la réalité contraste cruellement avec les promesses initiales. La “malédiction des ressources” a frappé de plein fouet : gestion opaque des recettes, corruption endémique et un endettement qui absorbe la majeure partie des revenus pétroliers.
Les retombées pour la population restent dérisoires. Environ 65% des Tchadiens continuent de vivre sous le seuil de pauvreté, avec un accès limité aux services de base comme l’éducation ou la santé. Les infrastructures promises tardent à se concrétiser, et les inégalités se creusent entre une petite élite bénéficiaire de la manne pétrolière et le reste de la population.
L’alternative des énergies renouvelables
Paradoxalement, le pays dispose d’un atout énergétique largement inexploité. Avec plus de 3 000 heures d’ensoleillement par an, le Tchad possède un potentiel solaire parmi les plus élevés d’Afrique. Cette opportunité commence progressivement à être saisie, avec des projets comme la centrale solaire de Bokoro d’une capacité de 32 mégawatts.
Dans la capitale N’Djamena, des milliers de lampadaires solaires ont été installés ces dernières années, apportant un éclairage public plus fiable et moins coûteux. Ces initiatives, bien que modestes, pourraient préfigurer une transition énergétique plus ambitieuse, à condition que les investissements nécessaires soient mobilisés et que la volonté politique soit au rendez-vous.
Une mosaïque ethnique et culturelle
Le Tchad compte plus de 200 groupes ethniques parlant environ 120 langues différentes, répartis en deux grands ensembles culturels et géographiques. Au nord, les populations majoritairement nomades ou semi-nomades, comme les Toubous, maîtres du désert, ou les Zaghawas, ethnie de l’ancien président Déby. Ces groupes, essentiellement musulmans, représentent environ 30 à 40% de la population totale.
Le sud du pays est quant à lui dominé par des populations sédentaires comme les Saras, les Ngambayes ou les Moundangs, majoritairement chrétiennes ou animistes. Ces groupes, qui représentent 60 à 70% des Tchadiens, pratiquent principalement l’agriculture et vivent dans des sociétés plus hiérarchisées.
Cette extraordinaire diversité se manifeste dans la richesse des expressions culturelles, qu’il s’agisse de l’artisanat (travail du cuir, poterie, vannerie), de l’habitat (des tentes nomades aux cases obus) ou des traditions musicales (des trompes kakaki des sultans aux balafons des savanes). Mais cette mosaïque ethnique constitue également un défi permanent pour la construction nationale, comme en témoignent les conflits récurrents qui ont marqué l’histoire du pays depuis l’indépendance.
