Avec ses 2,3 millions d'habitants répartis sur 267 667 km² de forêt dense et de…
São Tomé-et-Príncipe : Le joyau méconnu

Niché dans le golfe de Guinée, à environ 250 kilomètres des côtes gabonaises, l’archipel de São Tomé-et-Príncipe constitue l’un des États les plus petits et les moins connus d’Afrique. Ces deux îles volcaniques et les îlots qui les entourent forment un microcosme fascinant où s’entremêlent influences africaines, portugaises et créoles dans un écrin de biodiversité exceptionnelle.
Géographie et biodiversité unique
L’archipel, d’origine volcanique, s’étend sur seulement 1 001 km² (964 km² pour São Tomé et 142 km² pour Príncipe) et présente des paysages spectaculaires :
Des pics montagneux vertigineux, culminant au Pico de São Tomé (2 024 m)
Des forêts primaires denses couvrant près de 30% du territoire
Des plages de sable noir et blanc bordées de cocotiers
Des formations rocheuses spectaculaires comme le « Cão Grande » (Grand Chien), pic phonolithique de 663 mètres surgissant de la forêt
Situé sur la ligne volcanique du Cameroun, l’archipel n’a jamais été relié au continent africain, ce qui a favorisé le développement d’une biodiversité endémique remarquable :
Plus de 28% des plantes sont endémiques
26 espèces d’oiseaux uniques, dont le célèbre ibis de São Tomé (Bostrychia bocagei)
Des amphibiens comme la grenouille géante de Príncipe (Phrynobatrachus dispar)
Une riche vie marine avec des sites de nidification pour plusieurs espèces de tortues
Cette richesse naturelle a valu à l’île de Príncipe d’être classée Réserve mondiale de biosphère par l’UNESCO en 2012. Les initiatives de conservation se multiplient, notamment dans le parc naturel d’Obô qui couvre environ 30% de la superficie totale des deux îles principales.
Histoire et héritage colonial
L’histoire de São Tomé-et-Príncipe est indissociable de l’expansion coloniale portugaise en Afrique :
Découvertes entre 1470 et 1471 par les navigateurs portugais João de Santarém et Pedro Escobar, les îles étaient inhabitées
Dès 1485, les premiers colons portugais s’y installent, accompagnés d’esclaves africains du continent
Au XVIe siècle, l’archipel devient un centre majeur de production sucrière grâce au travail forcé
Au XIXe siècle, l’introduction du café et du cacao transforme l’économie et le paysage des îles
L’indépendance est obtenue pacifiquement le 12 juillet 1975, après la Révolution des Œillets au Portugal
Ce passé colonial a laissé de profondes empreintes visibles dans :
L’architecture des « roças », vastes plantations coloniales dont certaines, comme Roça Sundy à Príncipe ou Roça Água Izé à São Tomé, sont de véritables villes-plantations avec églises, hôpitaux et habitations hiérarchisées
La langue portugaise, seule langue officielle, bien que le forro (créole local) soit largement parlé
La religion catholique pratiquée par environ 85% de la population
La structure sociale métissée, fruit de siècles d’interactions entre Européens et Africains
Population et mosaïque culturelle
Les 230 000 habitants de l’archipel sont principalement répartis sur l’île de São Tomé, où se trouve la capitale éponyme (71 000 habitants). La population présente une diversité ethnique et culturelle remarquable :
Les Forros (80%), descendants d’esclaves affranchis et de colons portugais
Les Angolares, descendants d’esclaves angolais rescapés d’un naufrage au XVIe siècle
Les Tongas, descendants de travailleurs contractuels mozambicains, angolais et cap-verdiens
Les Serviciais, descendants des travailleurs forcés amenés d’Angola après l’abolition de l’esclavage
Cette diversité se reflète dans un riche patrimoine culturel :
Le « tchiloli », théâtre traditionnel unique adapté d’une tragédie médiévale portugaise
La musique soukous et la danse puíta
Le « danço-congo », danse rituelle d’origine bantoue
L’extraordinaire cuisine créole fusionnant influences portugaises et africaines, riche en fruits de mer, fruits tropicaux et cacao
La société santoméenne se caractérise par un métissage culturel et biologique profond, une relative harmonie interethnique et des valeurs communautaires fortes, exprimées dans la tradition du « djunta-mon » (entraide collective).
Économie du cacao et diversification
L’économie de São Tomé-et-Príncipe reste fortement marquée par son histoire agricole :
Le cacao, introduit en 1822, demeure le principal produit d’exportation avec une production annuelle d’environ 2 500 tonnes
Réputé parmi les meilleurs du monde pour sa qualité aromatique, le cacao santoméen est aujourd’hui majoritairement issu de cultures biologiques et équitables
L’huile de palme, la noix de coco et le café complètent les exportations agricoles
La pêche artisanale occupe une place importante dans l’économie locale
Avec un PIB par habitant d’environ 2 000 dollars, l’archipel figure parmi les pays à revenu intermédiaire de la tranche inférieure. Les défis économiques demeurent considérables :
La dépendance aux importations pour de nombreux produits de base
L’insularité qui augmente les coûts de transport
Un marché intérieur très limité
Des infrastructures insuffisantes
Pour diversifier son économie, le pays mise sur plusieurs secteurs :
Le tourisme durable et l’écotourisme, en valorisant la biodiversité et les paysages exceptionnels
Les services numériques, facilités par le raccordement en 2018 au câble sous-marin à fibre optique ACE
La valorisation des ressources halieutiques dans sa zone économique exclusive de 160 000 km²
L’exploration pétrolière offshore dans la zone de développement conjoint avec le Nigeria
Modèle démocratique africain
Sur le plan politique, São Tomé-et-Príncipe fait figure d’exception africaine :
Depuis l’instauration du multipartisme en 1990, le pays a connu plusieurs alternances pacifiques du pouvoir
Les élections sont généralement considérées comme libres et transparentes par les observateurs internationaux
La liberté de presse y est l’une des plus respectées d’Afrique
L’armée est restée sous contrôle civil malgré quelques tentatives de coups d’État avortées (1995, 2003)
Cette stabilité démocratique remarquable est d’autant plus notable que le système institutionnel est particulièrement complexe, avec un régime semi-présidentiel où les cohabitations sont fréquentes. Le pays est organisé en six districts administratifs sur São Tomé et une région autonome (Príncipe).
Cette maturité politique a permis à l’archipel de devenir un interlocuteur respecté sur la scène internationale, malgré sa taille modeste. Le pays entretient des relations privilégiées avec :
Le Portugal, ancienne puissance coloniale et premier partenaire de développement
Les pays lusophones à travers la CPLP (Communauté des pays de langue portugaise)
La Chine, qui finance d’importants projets d’infrastructure
Taiwan, avec qui les relations diplomatiques ont été rétablies en 2022
L’Union européenne, principal marché d’exportation pour le cacao
Défis et perspectives
Malgré ses nombreux atouts, São Tomé-et-Príncipe doit relever d’importants défis :
Le changement climatique, qui menace ses écosystèmes fragiles et son agriculture
La dépendance à l’aide internationale, qui représente encore près de 90% du budget d’investissement public
Le développement d’infrastructures durables, notamment énergétiques (seulement 70% de la population a accès à l’électricité)
L’amélioration des services de santé et d’éducation pour une population particulièrement jeune (42% a moins de 15 ans)
Les perspectives de développement s’articulent autour de plusieurs axes :
Un tourisme haut de gamme et responsable, inspiré par le modèle des Seychelles ou des Galapagos
La valorisation internationale de produits d’excellence comme le cacao biologique et le café de qualité
Le positionnement comme « laboratoire » de la transition écologique pour les petits États insulaires
L’économie bleue, exploitant durablement les ressources marines abondantes
Un laboratoire de durabilité
L’insularité, longtemps perçue comme un handicap, pourrait devenir un atout dans un monde en quête de modèles durables. São Tomé-et-Príncipe développe actuellement plusieurs initiatives pionnières :
Des projets d’énergie 100% renouvelable, combinant hydroélectricité, solaire et biomasse
La protection intégrale de la biodiversité marine et terrestre
Des pratiques agricoles régénératives valorisant les savoirs locaux
Un urbanisme adapté aux défis climatiques
La bonne gouvernance, la stabilité politique et la taille humaine du pays en font un terrain propice à l’expérimentation de solutions innovantes. Plusieurs fondations et organisations internationales soutiennent cette ambition de transformation de l’archipel en modèle de développement durable.
São Tomé-et-Príncipe, longtemps oublié des radars internationaux, émerge ainsi comme un joyau non seulement par ses paysages spectaculaires et sa biodiversité unique, mais aussi par sa capacité à tracer une voie originale de développement harmonieux. Ce petit archipel pourrait bien devenir un laboratoire des transitions écologiques, économiques et sociales dont notre planète a besoin.