Accueil » La diplomatie ivoirienne en deuil : Amara Essy s’est éteint à 82 ans

Amara Essy, le dernier géant de la diplomatie ivoirienne, s’en est allé

La Côte d’Ivoire vient de perdre l’un des derniers monuments de sa diplomatie. Amara Essy, l’homme qui porta pendant plus d’un demi-siècle la voix de son pays et de l’Afrique sur les plus grandes scènes internationales, s’est éteint paisiblement ce dimanche 7 avril dans sa résidence du Plateau, à Abidjan. Avec lui disparaît une certaine idée de la diplomatie africaine, celle des bâtisseurs d’institutions et des artisans discrets de la coopération internationale.

Un parcours qui épouse l’histoire de la Côte d’Ivoire moderne

Né en 1944 à Bouaké, au cœur d’une Côte d’Ivoire encore sous administration coloniale, Amara Essy a grandi avec son pays. Diplômé en droit public dans les années 1960, il intègre très jeune le ministère des Affaires étrangères, alors que la jeune nation ivoirienne construit patiemment son réseau diplomatique. Son intelligence des dossiers et sa maîtrise des arcanes multilatérales le propulsent rapidement aux avant-postes.

“Amara avait cette capacité rare à concilier fidélité à ses principes et pragmatisme dans l’action”, se souvient un ancien collaborateur. Une qualité qui lui vaut la confiance du président Félix Houphouët-Boigny, qui en fait l’un de ses protégés. De Genève à New York, le jeune diplomate impose progressivement son style : une éloquence mesurée, une connaissance encyclopédique des dossiers et un sens aigu du compromis sans renoncement.

L’âge d’or de la diplomatie ivoirienne

Les années 1990 marquent l’apogée de son influence. Nommé ministre des Affaires étrangères en 1990, il dirige pendant dix ans une diplomatie ivoirienne alors considérée comme l’une des plus efficaces du continent. C’est sous son mandat que la Côte d’Ivoire joue un rôle central dans la résolution de plusieurs crises régionales, des conflits libérien et sierra-léonais aux tensions en Guinée-Bissau.

Son élection à la présidence de la 49e session de l’Assemblée générale des Nations unies en 1994 consacre son statut de figure majeure de la diplomatie mondiale. “Il apportait à l’ONU cette touche ivoirienne, faite de rigueur et d’humanisme”, témoigne Kofi Annan dans un hommage rendu public ce lundi.

L’architecte méconnu de l’Union africaine

Si son nom reste moins associé à l’Union africaine que celui de certains de ses successeurs, les spécialistes savent le rôle déterminant qu’il joua dans la transformation de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en UA. Nommé secrétaire général de l’OUA en 2001, il pilote avec une patience d’horloger la transition institutionnelle qui aboutira en 2002 à la création de l’Union africaine.

“Amara comprenait que l’Afrique avait besoin d’institutions fortes plutôt que de grands discours”, analyse l’ancien président béninois Thomas Boni Yayi. Une vision qui se heurta souvent aux réalités politiques du continent, mais dont les fruits apparaissent aujourd’hui clairement.

Les ambitions contrariées et la retraite discrète

Le retour au pays natal en 2003 ouvre un chapitre plus contrasté. L’homme qui avait si bien manœuvré dans les couloirs feutrés des organisations internationales se révèle moins à l’aise dans l’arène politique ivoirienne. Sa tentative de se porter candidat à l’élection présidentielle de 2015 bute sur les réalités du jeu partisan et sur l'”Appel de Daoukro” qui scelle l’alliance entre le PDCI et le RHDP.

Cette déconvenue marque le début d’une retraite active, où le vieux diplomate se consacre à la formation des jeunes cadres et à des missions de conseil discrètes. “Il refusait le titre d’ancien ministre, préférant qu’on l’appelle simplement ‘citoyen Essy'”, raconte un proche.

Un héritage à préserver

Aujourd’hui, alors que les hommages affluent du monde entier – du secrétaire général de l’ONU aux plus modestes collaborateurs – une question se pose : qui portera désormais cet héritage ? Celui d’une diplomatie du dialogue, exigeante sur le fond mais toujours respectueuse de la forme, dans un monde où les rapports de force prennent souvent le pas sur le droit international.

Les funérailles, dont la date n’a pas encore été annoncée, s’annoncent comme un moment de recueillement national. Le président Alassane Ouattara a déjà décrété trois jours de deuil national, tandis que l’Union africaine envisage de donner son nom à l’une des salles de conférence de son siège d’Addis-Abeba.

Dans les couloirs du ministère des Affaires étrangères, où son portrait rejoindra bientôt la galerie des anciens, un jeune diplomate résume l’émotion générale : “C’était notre modèle à tous. Maintenant, c’est à nous de prouver que nous avons appris la leçon.” Une lourde tâche pour les successeurs d’un homme qui, selon les mots de l’ancien président ghanéien Jerry Rawlings, “a fait de la modération une force et du silence une stratégie”.

 

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